La violence privée
de M.F Hirigoyen
La violence perverse dans le couple est souvent niée ou banalisée, réduite à une simple relation de domination. La tentation est souvent grande chez le soignant de rendre le partenaire complice voire même responsable de l’échange pervers. C’est nier la dimension d’emprise qui paralyse la victime et l’empêche de se défendre, c’est nier la violence des attaques et la gravité du retentissement psychologique du harcèlement sur la victime. Les agressions sont subtiles, il n’y a pas de traces tangibles et les témoins tendent à interpréter comme de simples relations conflictuelles ou passionnelles entre deux personnes caractérielles ce qui est une tentative violente de destruction morale et même physique de l’autre, parfois réussie.
L’emprise
Dans le couple, le mouvement pervers se met en place quand l’affectif fait défaut, ou bien lorsqu’il existe une trop grande proximité avec l’objet aimé.
Trop de proximité peut faire peur et, par là même, ce qui va faire l’objet de la plus grande violence est ce qui est le plus intime. Un individu narcissique impose son emprise pour retenir l’autre, mais il craint que l’autre ne soit trop proche, ne vienne l’envahir. Il s’agit donc de le maintenir dans une relation de dépendance ou même de propriété pour vérifier sa toute puissance. Le partenaire englué dans le doute et la culpabilité ne peut réagir.
Le message non dit est «ne t’aime pas », mais il est occulté pour que l’autre ne parte pas, et il est agi de façon indirecte. Le partenaire doit rester là pour être frustré en permanence ; il faut en même temps l’empêcher de penser afin qu’il ne prenne pas conscience du processus.
L’emprise est mise en place par un individu narcissique qui veut paralyser son partenaire en le mettant en position de flou et d’incertitude. Cela lui évite de s’engager dans une position de couple qui lui fait peur. Par ce processus, il met l’autre à distance, dans des limites qui ne lui paraissent pas dangereuses. S’il ne veut pas être envahi par l’autre, il lui fait subir pourtant ce qu’il ne veut pas subir lui-même, en l’étouffant et en le maintenant « à disposition ».
L’origine de cette tolérance se retrouve dans une loyauté familiale qui consiste, par exemple, à reproduire ce que l’un des parents a vécu, ou bien dans l’acceptation d’un rôle de personne réparatrice pour le narcissisme de l’autre, une sorte de mission où l’on aurait à se sacrifier.
La violence
La violence perverse apparaît dans les moments de crise quand un individu qui a des défenses perverses ne peut pas assumer la responsabilité d’un choix difficile. Elle est alors indirecte, essentiellement dans le non-respect de l’autre.
Le refus de la responsabilité d’un échec conjugal est souvent à l’origine d’une bascule perverse. Un individu qui a un fort idéal de couple, présente des relations apparemment normales avec son partenaire jusqu’au jour où il doit faire le choix entre cette relation et une nouvelle rencontre. La violence perverse sera d’autant plus importante que l’idéal de couple était grand. Il n’est pas possible d’accepter cette responsabilité qui doit être entièrement portée par l’autre. S’il y a un retrait d’amour, le partenaire en est tenu pour responsable, pour ne faute qu’il aurait commise et qui n’est pas nommée. Ce retrait d’amour est le plus souvent nié verbalement, tout en étant agi.
La prise de conscience de la manipulation ne peut que mettre la victime dans un état d’angoisse terrible qu’elle ne peut évacuer puisqu’elle n’a pas d’interlocuteur. En plus de la colère, les victimes à ce stade éprouvent de la honte honte de ne pas avoir été aimées, honte d’avoir accepté ces humiliations, honte d’avoir subi.
Parfois, il ne s’agit pas d’un mouvement pervers transitoire, mais de la révélation d’une perversion jusqu’ici occultée. La haine qui était masquée apparaît au grand jour, très proche d’un délire de persécution. Les rôles sont ainsi inversés, l’agresseur devient l’agressé et la culpabilité reste toujours du même côté. Pour que cela soit crédible, il faut disqualifier l’autre en le poussant à un comportement répréhensible.
Pour pouvoir idéaliser un nouvel objet d’amour et maintenir la relation amoureuse, un pervers a besoin de projeter tout ce qui est mauvais sur un bouc émissaire. Tout ce qui est obstacle à une nouvelle relation amoureuse doit être détruit comme objet gênant. Ainsi, pour qu’il y ait de l’amour, il faut qu’il y ait de la haine quelque part. La nouvelle relation amoureuse se construit sur la haine du partenaire précédent.
La séparation
Les procédés pervers sont utilisés très habituellement lors des divorces et des séparations. Il s’agit alors d’un procédé défensif que l’on ne peut pas d’emblée considérer comme pathologique. C’est l’aspect répétitif et unilatéral du processus qui amène l’effet destructeur.
Lors des séparations, le mouvement pervers, jusqu’alors sous-jacent, s’accentue, la violence sournoise se déchaîne, car le pervers narcissique sent que sa proie lui échappe. La séparation ne vient pas interrompre la violence, elle se poursuit à travers les quelques liens relationnels qui peuvent exister, et quand il y a des enfants elle passe à travers eux. Cela constitue ce que les Américains nomment le stalking, c’est-à-dire le harcèlement. Le harcèlement est le fait d’anciens amants ou conjoints qui ne veulent pas lâcher leur proie, envahissent leur « » de leur présence, l’attendent à la sortie de son travail, lui téléphonent le jour et la nuit, avec des paroles de menaces directes ou indirectes.
Les divorces avec un pervers narcissique, quel que soit celui qui est à l’initiative de la séparation, sont presque toujours violents et procéduriers. Les pervers maintiennent le lien, par le biais des lettres recommandées, des avocats, de la justice. On continue à parler de ce couple, qui n’existe plus, à travers les procédures. Plus la pulsion d’emprise est grande, plus grands sont le ressentiment et la colère. Les victimes se défendent mal, surtout si elles se croient à l’initiative de la séparation, ce qui est souvent le cas, leur culpabilité les porte à se montrer généreuses espérant ainsi échapper à leur persécuteur.
Les victimes savent rarement utiliser la loi, alors que l’agresseur, étant très proche d’une structure paranoïaque, saura faire les démarches nécessaires.
Dans une manœuvre perverse, le but est de déstabiliser l’autre et de le faire douter de lui-même et des autres. Pour cela, tout est bon, les sous-entendus, le mensonge, les invraisemblances. Pour ne pas se laisser impressionner, il faut que le partenaire n’ait aucun doute sur lui-même et sur les décisions à prendre, et ne tienne pas compte des agressions. Cela oblige à être sans arrêt sur le qui-vive dans les contacts avec l’ex-conjoint.
Le refus de communication directe est l’arme absolue des pervers. Le partenaire se trouve obligé de faire les demandes et les réponses et, s’avançant à découvert, évidemment commet des erreurs qui sont relevées par l’agresseur pour pointer la nullité de la victime.
Le recours à des lettres recommandées agressives dans le sous-entendu ou l’allusion est une manœuvre habile pour déstabiliser sans trace. Un lecteur extérieur (psychologue, juge), à partir de ces écrits, ne peut qu’imaginer un échange acrimonieux banal entre deux ex-époux. Or, il ne s’agit pas d’un échange. C’est une agression unilatérale où l’agressé est mis dans l’incapacité de réagir et de se défendre.