11 Novembre 2013
'Il est donc certain que le cerveau des personnes exposées à un événement traumatique, et qui développent un ESPT persistant n’est pas en tout point semblable à celui de personnes normales.'
Depuis quelques années, la recherche s’est penchée sur les éléments neurobiologiques relatifs aux États de Stress Post-Traumatique (ESPT). Plusieurs de ces éléments ont été examinés avec attention par le biais des techniques de neuro-imagerie structurelle ( qui montre la structure du cerveau : CT-scan et Imagerie par Résonance Magnétique, ou IRM) et fonctionnelle ( qui montre le cerveau en activité : PET-scan* et Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle, ou IRMf).
Le but de ces études est d’identifier si les modifications enregistrées dans la structure ou le fonctionnement du cerveau des personnes victimes de traumatisme psychique et souffrant de troubles de stress post- traumatiques sont la conséquence des psychotraumatismes ou un facteur prédisposant la personne à ces troubles. Afin de bien comprendre ces recherches, il nous faut au préalable décrire le modèle théorique de la peur et du stress.
1. Un Modèle Neurobiologique de l’ESPT : Le conditionnement et l’extinction.
Un des modèles neurobiologiques de l’ESPT conçoit les psychotraumatismes comme une forme de conditionnement de peur. Le conditionnement est une forme d’apprentissage par association de deux (ou plusieurs) stimuli.
Par exemple, on présente une lumière verte à un rat, suivie immédiatement d’un choc électrique. Le rat apprend parfois après un seul test, à avoir peur de la lumière verte. Si le conditionnement est assez fort, la réaction de peur (ou dans le cas d’individus traumatisés, la détresse émotionnelle) peut apparaître lors de la présentation d’un stimulus différent mais apparenté au stimulus traumatisant original. Il pourrait s’agir, pour suivre dans le même exemple du rat, de la présentation d’une lumière bleue.
Une autre notion théorique importante est celle d’extinction.
C’est le processus par lequel l’animal (ou l’individu) apprendrait à ne plus avoir peur. Cet apprentissage se fait en présentant un grand nombre de fois le stimulus redouté (par exemple la lumière verte) sans qu’aucune conséquence négative ne survienne (le choc électrique).
Il est essentiel de comprendre que ceci n’est pas un oubli de l’ancienne association, mais bien un nouvel apprentissage qui prime dorénavant sur l’apprentissage antérieur. Si le processus d’extinction réussit et est consolidé dans la mémoire, la réaction de détresse / peur disparaît.
Naturellement, il est plus facile de traiter la peur qu’inspire une lumière verte chez un rat que de traiter la détresse et l’angoisse qu’inspire la série d’éléments qui nous rappelle un événement traumatique.
Il y a donc deux phases cruciales dans le conditionnement de peur, soit l’acquisition et l’extinction. Ceci compose le modèle neurobiologique de l’ESPT, qui prédit que le trauma est en fait un conditionnement de peur qui résiste au processus d’extinction.
L’évitement est un aspect crucial du processus de consolidation de l’apprentissage de peur car il ralentit l’extinction. En évitant les stimuli qui provoquent les réactions de détresse et de peur, l’individu évite les sensations, les émotions négatives reliées au souvenir du trauma (par exemple aller à l’endroit où on a eu « son » accident ).et ne peut apprendre que la présence du stimulus n’est pas toujours signe de menace.
Ainsi, les personnes qui évitent des éléments rappelant le traumatisme ne peuvent intégrer de nouveaux apprentissages par rapport au traumatisme. Les statistiques épidémiologiques supportent indirectement ce modèle neurologique, en indiquant que, la plupart des victimes qui sont exposées à un événement traumatique, qui ont un ESPT un mois après l’événement traumatique, et qui acquièrent ce conditionnement, se remettent naturellement de cet événement.
Cela voudrait donc dire que la plupart des victimes ont un processus d’extinction efficace. Par contre, il demeure un pourcentage d’individus qui n’ont pas ce processus d’extinction, qui pratiquent l’évitement et chez qui l’apprentissage de peur se consolide et se généralise.
Les études neurologiques, tentent donc d’examiner quelles structures neurologiques (quelles parties du cerveau) sont impliquées dans le conditionnement de peur et dans l’extinction afin de pouvoir intervenir au bon moment avec une thérapie appropriée qui sache aider le processus naturel d’extinction et empêcher le réflexe d’évitement.
2. Les études neurologiques sur l’ESPT
Les études neurologiques faites sur l’ESPT s’appuient largement sur les connaissances dérivées des études effectuées chez le rat sur le conditionnement de peur et le stress. Le raisonnement de ces études était simple : puisque tous les mammifères possèdent un cerveau limbique semblable, les résultats obtenus chez le rat devraient trouver une certaine correspondance chez l’être humain. Plus précisément, ces études ont révélé que trois structures spécifiques pourraient être impliquées dans l’ESPT. Celles-ci sont les amygdales, les hippocampes et le cortex cingulaire antérieur.
Reconstruction tridimentionnelle du cerveau.
L’amygdale cérébrale est une petite structure du système limbique (C’est bien dans le cerveau, même si elle porte le même nom que celles qui sont dans la gorge) comportant plusieurs ensembles fonctionnels situés dans la partie antérieure des lobes médio-temporaux.
Elle est constituée de plusieurs noyaux qui reçoivent des informations des aires sensorielles (comme l’odorat, la vue, le toucher, l’audition, etc…), qui sont connectés au cortex limbique, à l’hippocampe et à divers centres impliqués dans la réaction de stress comme l’hypothalamus, la glande maîtresse qui provoque la sécrétion des hormones de stress telles que le cortisol.
Les différentes études chez le rat s’entendent sur le fait que l’amygdale est impliquée dans l’apprentissage de la peur, dans la consolidation de cet apprentissage, ainsi que dans les réactions ultérieures aux stimuli de stress.
Ainsi, les études de neuroimagerie fonctionnelle ont donc cherché à savoir si l’amygdale était plus ou moins activée chez des personnes souffrant d’ESPT, lorsqu’elles sont comparées à des sujets qui ne souffrent pas d’ESPT. Les résultats obtenus jusqu’ici tendent à montrer que l’amygdale serait hyperactivée chez des personnes souffrant d’ESPT comparées à des participants sains.
Ceci pourrait expliquer les réactions de sursaut, les souvenirs intrusifs ainsi que l’état d’hypervigilance constante.
L' hippocampe
L’hippocampe est une petite structure sous-corticale, située dans les lobes temporaux. Cette structure est connue pour son rôle central dans la mémoire, permettant le transfert des informations autobiographiques et sémantiques ( les évènements culturels, ceux qui se rapportent à l’interprétation) de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme.
Elle est aussi impliquée dans l’orientation spatiale et dans l’estime de soi. L’hippocampe présente un grand nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes, donc au cortisol, l’hormone de stress qui est sécrétée lorsqu’un stress est perçu.
Une autre voie qui a mené à l’étude de l’hippocampe est le fait que les personnes atteintes d’ESPT ont souvent des difficultés à se souvenir d’éléments de la vie courante, comme les éléments d’une liste d’épicerie, des numéros de téléphone. Certains ont également de la difficulté à se souvenir ou à raconter certains aspects leur événement traumatique sous forme d’un récit cohérent.
Plusieurs études de neuroimagerie structurelle ont examiné le volume de l’hippocampe chez des personnes atteintes de stress post-traumatique. Ces études ont révélé que le volume de l’hippocampe est souvent plus petit chez des personnes souffrant d’ESPT lorsqu’il est comparé à celui d’autres personnes, principalement des personnes n’ayant jamais été exposées à un événement traumatique.
Et si le volume d’une structure est plus petit, voire atrophié, peut-être que cette structure fonctionne moins bien.
Par contre, les études ne peuvent s’entendre sur le lien de cause à effet. Il y a deux possibles interprétations de ces résultats :
1. un volume plus petit est une des conséquences de la présence de l’ESPT pendant plusieurs années, étant donné l’effet toxique des hormones de stress sur les neurones de l’hippocampe.
2. un volume plus petit est un facteur de risque qui, lorsque la personne est exposée à un événement traumatique, entraînera l’incapacité à se remettre du trauma. (Une seule étude à ce jour supporte cette deuxième hypothèse). Ce n’est que par le biais d’études futures que nous devrions obtenir une meilleure compréhension du rôle de l’hippocampe dans l’ESPT.
Le Cortex Cingulaire Antérieur
Le cortex cingulaire antérieur (CCA) est une portion des régions limbiques frontales qui enveloppe le corps calleux, partie de matière blanche qui unit les deux hémisphères cérébraux.
Le rôle de cette région cérébrale n’est pas encore très bien compris, mais certaines études tendent à montrer qu’elle est impliquée dans les processus d’autorégulation, et qu’elle peut stopper l’activité de l’amygdale.
Donc, ce cortex sert notamment à empêcher des réactions de peur qui s’avèrent inappropriées. Il faut mentionner que le traitement de l’information par l’amygdale est grossier mais très rapide, tandis que le traitement de l’information du CCA (Cortex Cingulaire Antérieur) – plus riche — est cependant plus lent, d’où son rôle inhibiteur.
Tel que nous l’avons vu dans la section sur le modèle neurobiologique de l’ESPT, le CCA serait responsable de concert avec l’hippocampe de l’extinction du conditionnement de peur.
Plusieurs études ont donc cherché à voir quel était l’état d’activation de cette structure lors de la présence de symptômes, chez des individus souffrant d’ESPT. Sept des neufs études qui ont étudié la question ont observé un niveau d’activation inférieur du CCA chez les personnes atteintes d’ESPT lors de la présentation d’éléments relatifs au trauma.
Par contre, les deux autres études ont trouvé des niveaux d’activation égaux ou supérieurs chez les personnes atteintes d’ESPT. Enfin, mentionnons que parmi les études ayant trouvé un niveau d’activation inférieur, une d’elles a trouvé que cet effet était présent lors de la présentation d’éléments tristes ou neutres, et non uniquement lors de la présentation d’éléments relatifs au trauma.
Une étude récente a examiné la relation entre le niveau d’activation de l’amygdale et du CCA : si le CCA est bel et bien un inhibiteur de l’amygdale, (l’empêche de fonctionner normalement) alors leurs niveaux d’activations devraient fluctuer selon des patrons similaires. Or, cette étude rapporte n’avoir trouvé aucune corrélation significative entre les niveaux d’activation des deux structures.
Le CCA pourrait donc jouer un rôle dans l’ESPT, mais ceci demeure encore incertain. Deux études ont examiné si le volume du CCA était différent chez les personnes atteintes d’ESPT.
Selon la première étude, les personnes souffrant d’ESPT auraient un volume plus petit du CCA au niveau de la portion dorsale gauche de cette structure, une région associée à des fonctions plus cognivites (pour apprendre et comprendre) qu’émotionnelles.
Selon la deuxième étude, les deux autres sous-divisions du CCA, soit la partie antérieure et inférieure au corps calleux, auraient un volume plus petit chez les personnes souffrant d’ESPT, mais il n’y aurait aucune différence au niveau dorsal du CCA.
De plus les sujets de la première étude avait un ESPT dans les cinq dernières années : il est donc possible que l’effet observé ne soit pas lié à l’ESPT. Pour ce qui est de la deuxième étude, tous les sujets souffraient d’ESPT depuis longtemps : les résultats ne permettent donc pas d’attribuer un rôle causal au CCA.
3. Conclusion
Il est donc certain que le cerveau des personnes exposées à un événement traumatique, et qui développent un ESPT persistant n’est pas en tout point semblable à celui de personnes normales.
Il semble que le centre nerveux responsable de l’émotion de peur soit hyperactivé, alors que les centres responsables de l’inhiber ( de la stopper) ne soient pas aptes à la supprimer tels qu’ils le devraient. Cela dit, l’ESPT est un trouble complexe et il est possible que de nombreuses autres structures participent au développement et à la persistance de ce trouble.
Par souci de simplicité, nous nous sommes contentés de ne revoir que les structures les plus examinées. Nous sommes donc encore à un stade précoce dans la compréhension des bases neurales de ce trouble. Cela dit, de plus en plus de chercheurs s’intéressent à cette question.Par ailleurs ce n’est pas parce qu’une cause possible est trouvée dans le cerveau que nous devons adopter une position fataliste et déterministe. Ce n’est pas parce que certaines structures sont plus petites ou moins activées que nous devons croire qu’il en sera toujours ainsi.
La capacité première du cerveau est celle d’apprendre. Les études de neuroimagerie, en nous indiquant quelle structure cérébrale (et donc quelle fonction) est touchée, nous aideront à valider ou développer des traitements psychothérapiques et pharmacologiques pour venir en aide à ceux qui souffrent d’ÉSPT.
Pour en savoir plus :
Dernière mise à jour le jeudi 27 janvier 2011